Conférence : les Turcs sont-ils Européens ?

Publié le par Boyer Serge

12 octobre 15H30 – DEBAT avec Sylvie GOULARD, présidente du mouvement européen, François GEORGEON (directeur de recherche au CNRS), Fusün USTEL (Université d’Istanbul) et Ahmed INSEL (Université francophone de Galagatasaray) et Pierre CHUVIN (Institut français d’histoires antoliennes).

 Les Turcs sont-ils des Européens ?                                                                   

Opposition nette et claire sur le sujet. Remarquable.  *****

Pierre CHUVIN : qui sont les Turcs ? Un poète turc compare la Turquie a un cheval qui vient d’Asie et qui court vers l’Europe. Foyer historique de population ; un archéologue turc sort des inscriptions grecques « C’est vous qui êtes des Phrygiens ». Pb des limites : parfois jusqu’au fleuve anatolien LLLLL ?????????,

François GEORGEON : question différente de celle habituelle comme la Turquie peut-elle entrer dans l’UE. Le sujet centré sur les Turcs évacue les problèmes des frontières.

Les Turcs ne sont pas Indo-Européens ; langue vraiment asiatique (Mongolie, Corée). Les Turcs ne sont pas chrétiens, mais des musulmans sunnites. Mais avant l’Islam, ils ont été animistes, chamanistes, bouddhistes… La redécouverte de l’identité turque a donné une place à la religion.

Par contre les liens avec les Européens sont anciens, datent du 14è siècle, de 1350 à 1920. Cette présence turque a légué beaucoup de choses : des populations turcophones en Bulgarie par exemple. Les relations de voisinage sont donc longues ; depuis 2 siècles, la vocation européenne est constante dans les élites turques. Temps fort : réformes du milieu du 19è siècle, les Jeunes Turcs, l’époque kémaliste, les années 70-80. Pas de débat sur l’européanité des Turcs comme en Russie. Unanimité de cette vocation européenne.  Débat entre Renan et les Allemands. L’idée française a primé, donc celle d’une adhésion volontaire.

Pierre CHUVIN : 2 mots désignent les Balkans , mot européen lié à un relief,  en Turc, le lit de Rome, donc tropisme vers l’Ouest. Mehemet II voulait prendre Rome.

Sylvie GOULARD : je ne suis pas spécialiste de la Turquie, mais active lors du processus d’adhésion. Deux observations : si on passe que l’adhésion au projet européen est essentielle, en dépassant les clivages, mais il ne faut pas oublier que parfois cela complique les choses. Dans les traités, pas de définition de l’Europe. Pas non plus de droit acquis (tout état peut demander). Donc distinguer un projet d’adhésion à un brevet d’européanité ; ex suisse. Certains pays peuvent même sortir… L’appartenance à l’UE ne gomme pas toutes les différences. Dès 1963, la perspective d’adhésion de la Turquie a été admise. Seconde remarque : l’Europe devrait se préparer à tenir ses promesses. Hélas, non : disparition de l’idéal des pères fondateurs ; le discours reste européen, mais les réalités sont très variables. Perte du sens européen, qui est un obstacle de cette adhésion. Critères officiels à Copenhague : 1 état de droit (démo…, évolution positive de la Turc), 2 critère économique (pays émergent qui peut résister à l’intégration)  3 reprise de l’acquis prioritaire. Puis une condition qui pèse sur l’UE ; à ce niveau la taille du pays pose problème, de même les contrastes de développement amèneraient des dépenses, alors que le budget européen est limité (en une semaine, l’All a dépensé 3 fois le budget européen). Ces critères sont ceux du contexte de la Guerre froide. Aujourd’hui, ils sont moins adaptés. S’ajoutent l’opposition de certaines opinions publiques. Donc en résumé, cette intégration pose la question d’une réflexion sur l’Europe elle-même, sur un projet unique au monde. Quoi qu’il en soit, le besoin de clarification est nécessaire. La question est-elle de connaitre l’européanité ou pas, mais plutôt de chercher des solutions pour la Planète aille mieux.

Ahmed INSEL : le débat politique est subordonné au débat historique ; la réponse est sous-évoquée de manière négative. Les Turcs sont-ils Européens ? Réponse personnelle : « Pas seulement ».

Ahmed INSEL : duo avec Sylvie G entre oui/non. Ses analyses sont exactes. Mais demandons aux Européens s’ils sont Européens ! C’est subjectif. Il est évident que cette question qui se pose sur la Turquie (comme la GB) ne se pose pas pour d’autres comme la Bosnie. Cela est bien lié à sa taille, sa démographie, son développement…

Est-ce que nous sommes cousins ? Deux réponses : famille traditionnelle et famille composée ; cette nouvelle conception de la famille pose une vision différente des relations humaines. Les choses vont évoluer avec le temps vers le déclin de la question existentialiste. Sinon, évidemment les Turcs ne sont pas Européens. Pourquoi discute-t-on de cela, surtout en France ? Spécificité française : la particularité de la Turquie fait que le cas turc (de part son poids 90 M d’habitants vers 2050) pose le cas limite de l’élargissement européenne. En France, on se considère comme le père fondateur de l’Europe ; la diplomatie française a eu peur du couple  germano-turc. Pourtant la question peut aussi se poser sur la question chypriote, aux Polynésiens… Cela se posera avec l’Ukraine qui pose aussi le problème des relations avec la Russie. L’Ukraine est chrétienne… Si l’Europe ne se veut pas culturaliste, elle devra réfléchir d’avantage. En 1949, une partie du Conseil de l’Europe a refusé cette européanité. Mais la majorité a accepté cette intégration « Turquie était un pays asiatique en Europe, elle est maintenant un pays européen en Asie ».  Quelle différence avec mes étudiants par rapport à l’auditoire : 1 voile  2 moustache  3 autant d’hommes que de femmes. Cela révèle de profondes différentes : problème lié à la différence de niveau de vie (souvent 2 ou 3 emplois).

Question d’une personne de l’auditoire : et la gestion arménienne ? Et la question kurde ?

Ahmed INSEL : évidemment, grand problème, mais débat progressif en Turquie après un tabou de 80 ans ; pour la question kurde, tous les jours des ressortissants kurdes meurent. Nous avons besoin d’une dynamique européenne pour résoudre cette question. Les Corses ne sont pas nombreux, les Kurdes sont nombreux. Aussi le modèle de l’état-nation est-il viable ? L’expérience yougoslave peut arriver. Par ailleurs, votre attitude est une condescendance : on vous accueille et acceptez nos conditions avec un strapontin (partenariat). Il y a un ressentiment des Turcs vis-à-vis des Européens. Tout ressentiment fait perdre la raison. Dans la région, il y a 40 000 Turcs. Il y a deux France, ouverte et nationaliste et deux Turquie, les pro-européens et les négationnistes nationalistes.

Sylvie GOULARD : nécessité de regarder aussi notre passé ; le nationalisme est incompatible avec l’Union européenne. Il n’y a pas eu de débat en 1949 et aujourd’hui. C’est de cela que l’on souffre. Il y a débat en Allemagne et en Autriche. La question que fera-t-on in fine. On dit toujours on a promis, il ne faut pas discuter. Nous aussi nous pouvons avoir du ressentiment face aux élites qui n’ont rien expliqué pourquoi (Chirac Jospin Védrine). Les projets non portés par les citoyens européens sont mal partis.

Fusün USTEL : préférez-vous une Turquie hors Europe qui refuse de reconnaitre le génocide arménien ou bien une Turquie en Europe qui le reconnaisse ? Ce n’est pas un chantage, mais ce débat n’existe pas car l’opinion publique ne considère pas que les Turcs soient Européens. La Turquie peut apporter la stabilité au Caucase ; c’est une demande des 3 pays du Caucase.

Question de l’auditoire: coût de l’intégration ?

Ahmed INSEL : hypothèses complexes, car  pas environ 2020 ; plafond à 1% du budget européen, personne n’envisage le transfert des aides espagnoles, portugaises et grecques. Donc le coût sera faible, environ 70% du financement par la Turquie, 30% par l’Europe. Par ailleurs, l’élargissent euphorique de 2004 a négligé les frontières mentales. De plus, aujourd’hui, l’euphorie a tarie. En 1963, le traité d’association est précoce. La Turquie était alors un des rares pays potentiellement « intégrationnable » (avec la Grèce). Mais les coups d’états turcs ont empêché cette intégration.

Sylvie GOULARD : attention au problème  financier (échec du Mezzogiorno) ; en 1963, c’est la Guerre froide, De Gaulle n’a jamais parlé de l’intégration de la Turquie.

Conclusion : DG la Turquie est un trop grand pays pour rentrer dans l’Europe. La Turquie fait peur : population, islam, puissance… Cette peur est ancienne.

Publié dans Histoire

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article